Repérer et comprendre le cheval dépressif

Le cheval dispose de peu de muscles faciaux lui permettant d’exprimer son état psychologique. Il s’exprime au contact de ses congénères ou des humains par des attitudes caractéristiques en rapport avec sa nature équine. Une observation attentive de son comportement donne des clés pour le comprendre, notamment distinguer le cheval dépressif du cheval « bien dans sa tête ». 

 


Le cheval « qui va »

En longe ou monté en promenade, le cheval « bien dans ses baskets » se déplace avec allant et bonne humeur. Il regarde tout ce qui l’entoure : il est attentif, intéressé et réactif (ce qui ne veut pas dire sur l’oeil !).
Au travail monté, il avance d’un pas décidé, « il va » ! Il réagit au souffle de la botte, à la caresse d’un doigt sur le cuir d’une rêne : il est dans une attitude d’attente d’indications .
En prairie comme au box, le cheval est curieux et attentif. Dans toutes les situations, il porte l’encolure haut (signe d’attention), ses yeux et ses oreilles sont mobiles. Il a un bel aspect.
Il repère son cavalier dès que celui-ci arrive, il reconnaît même sa voiture, son pas, sa voix… et manifeste immédiatement son intérêt : il hennit. Parfois, c’est un murmure de satisfaction, parfois un hennissement sonore, et il ne quitte ensuite plus le cavalier des yeux… ce qui n’a rien à voir avec l’intérêt du cheval pour le porteur de pommes ou de carottes ! 

Un certain nombre de chevaux n’affichent cependant pas ces comportements, signes de bien-être,… parce qu’ils sont en souffrance.

Des besoins fondamentaux à satisfaire

Pour qu’un cheval soit « heureux », il est impératif de lui fournir un cadre de vie qui satisfasse pleinement ses besoins fondamentaux :

=> un besoin alimentaire : un cheval doit pouvoir manger presque toute la journée. C’est nécessaire pour sa santé digestive et mentale. En plus de l’activité de mastication, indispensable à son équilibre mental, la salive générée joue un rôle important de tampon anti-acide dans l’estomac (moins de salive = pH trop acide = ulcères, crampes, coliques, mauvaise digestion, perturbation microbienne… tics liés à l’inconfort et/ou la douleur…)
=> un besoin de sommeil : un cheval a besoin de sommeil, et principalement de sommeil paradoxal. Si le cheval est seul dans un paddock, lui manque alors la sécurisation procurée par un congénère qui lui permettrait de dormir profondément. Pour bien dormir, un cheval ne doit pas être seul.
=> un besoin de mouvement : un cheval a besoin de se déplacer plus de 20 km par jour. C’est inscrit dans ses gènes et indispensable à sa santé mentale, à sa santé ostéo-tendineuse et au bon fonctionnement de son tube digestif (voir plus bas le cas du cheval de club).
=> un besoin de lien social : le cheval doit vivre en groupe. Cette vie grégaire lui permet d’avoir un environnement de sensations multiples, c’est essentiel pour son équilibre psychologique.

Tic comportemental, expression d’un mal-être

Le cheval est particulièrement sensible à son environnement. Tout manquement à son bien-être peut créer, très rapidement, une situation mentale perturbée, le plus souvent irréversible. Le cheval sombre alors dans un état pathologique et de souffrance : il va développer des stéréotypies (tics) facilement identifiables : tic à l’ours, tic d’automutilation, tic à l’air (avec ou sans appui), encensement, mouvements compulsifs de la langue et/ou des lèvres, etc. Il existe d’autres signes plus discrets aux yeux des non-initiés. Ces tics sont en réalité des attitudes de contournement pour échapper ou limiter la souffrance ressentie. On peut assimiler ces tics aux balancements stéréotypés/répétitifs de l’autiste.

 

Les équidés ont peu de moyens pour exprimer leur détresse au niveau de l’expression faciale ; ils ont peu de muscles faciaux dédiés.
Ils ne s’expriment que par des attitudes corporelles auxquelles certains ne prêtent pas suffisamment, voire pas du tout, attention…
jusqu’à la manifestation ultime de cette détresse : les tics comportementaux.

 

Cet état pathologique est dû au stress généré par la vie qui lui est imposée et qui ne respecte pas ses besoins fondamentaux. Attention cependant au vrai sens du mot stress => ensemble des phénomènes physiologiques et psychologiques provoqués par de nombreuses agressions extérieures : privation de liberté, de mouvements, de relations sociales, alimentation de trop courte durée…

 

Le cheval dépressif a une attitude corporelle générale caractéristique (photo a).
Source : Fureix C, Jego P, Henry S, Lansade L, Hausberger M (2012) Towards an Ethological Animal Model of Depression? A Study on Horses. PLoS ONE

 

Le facteur aggravant des contradictions équestres 

Il existe une autre source de dépression chez le cheval. Celle-ci est ignorée par beaucoup de cavaliers : ce sont leurs contradictions répétées dans l’usage des aides : un cheval ne peut comprendre qu’un ordre à la fois (à part quelques surdoués). Par exemple, si les mains freinent alors que les jambes sont actives, cette contradiction perturbe énormément le cheval, même si le cavalier ne le voit pas. De plus, le cheval n’obéira qu’au dernier signal donné. Il faut donc être minimaliste dans l’usage des aides, respecter le moment et la durée (quelques fractions de secondes, pas plus).
Certains chevaux arrivent à s’immuniser contre ces attitudes néfastes en devenant froids à la jambe, lointains, sans entrain. C’est une attitude d’autoprotection. Nombre de cavaliers vont les considérer comme de bons chevaux. En réalité, ils sont tristes. D’autres se rebellent. On les considère alors comme des chevaux difficiles…

Le cas particulier des chevaux de club

Spécialisée dans la recherche sur les relations entre états émotionnels et conditions environnementales, Carole Fureix notait dans ses études de doctorat : « Les chevaux de club subissent de plein fouet nos désirs d’équitation et paient un lourd tribut. » (…) « Le pourcentage des chevaux de clubs dépressifs est d’environ 20 %. »
Il n’est pas toujours possible d’offrir à ces chevaux au service d’un commerce – celui des sports équestres – une vie en rapport avec leur identité animale : manque de surfaces, manque de personnel, manque d’attention de la part des utilisateurs, obligations liées à leur « usage ». On peut affirmer, sans exagérer, que ces chevaux « méritent un monument » pour  supporter tout ce qu’on leur impose.

Heureusement, les chevaux de club ne sombrent pas tous dans cette dépression maintenant connue et bien identifiée. D’ailleurs, le « travail de club » peut être considéré comme positif pour le cheval du point de vue de la diversité apportée à leurs heures de travail : dressage, saut, trotting, promenades, etc. Il ne faut pas non plus s’alarmer quand un cheval « travaille » 3 ou 4 heures par jour ; il est apte pour le faire, surtout s’il « vit des  choses » (avec un entraînement de type complet, un cheval peut galoper sans souci sur une distance de plus de 30 km).

Passer un maximum de temps au paddock est salutaire pour un cheval dédié à l’enseignement
C’est un point d’équilibre, même si ce n’est pas l’idéal d’un cheval libre.

 

Le cheval dépressif s’exprime par un grand détachement et une grande indifférence :
• il n’accorde pas une attention particulière à l’homme (à ne pas confondre, comme mentionné plus haut, avec l’attitude du cheval face au porteur de pommes ou de carottes !) ;
• il reste indifférent à tout ce qui l’entoure, son regard est souvent vide, les oreilles « en parachute », l’encolure basse ;
• il est calme et indifférent, ou parfois très excité ;
• en box, il regarde souvent vers le fond, ou bien il est à la porte, mais ne manifeste pas d’intérêt pour son environnement ;
• il mange souvent sa paille jusqu’au dernier brin ;
• monté, il obéit mécaniquement, déroule les figures qu’on lui demande sans personnalité : un « bon » cheval, dit-on ! Mais quand le mal-être est trop important et dépasse son seuil de tolérance, il peut aussi se rebeller. On le dit alors difficile !
• il marche d’un pas sans joie, est peu réactif ou, au contraire, « sur l’oeil ». Il est froid à la jambe, car se mettre en avant, c’est faire preuve de vie, chose dont il a perdu le goût (il est blasé).

Pour autant, si certains chevaux de club deviennent indifférents, ce n’est pas forcément un signe de dépression. Cette indifférence peut-être le fait de la routine ou d’un caractère docile. On peut alors considérer cette attitude comme une conséquence « acceptable » d’un mode de vie imposé.

Les « solutions » anti-tics 

Il existe divers matériels que l’on trouve à profusion dans les catalogues. Par exemple, les colliers anti-tics. Cela reviendrait à vouloir arrêter les balancements d’un autiste ! Or, nous venons de voir que ces stéréotypies sont une échappatoire à la souffrance. On croit, avec de tels équipements, pouvoir guérir le cheval de ses tics ou, a minima, les éviter. Cela revient à traiter les conséquences et pas la cause. Le cheval ne pouvant plus soulager sa souffrance par un tic, il en développera un autre ou tombera malade ou deviendra difficile… N’oublions jamais que nous sommes responsables de son bien-être et donc de sa joie de vivre.

 

Accéder aux autres articles de notre rubrique Connaissances du cheval

Les commentaires sont fermés

  • Venir au club