La cession de mâchoire, base de l’équitation de légèreté

Bauchériste et auteur de nombreux ouvrages de référence, l’écuyer Jean-Claude Racinet (1929-2009) a dit de la cession de mâchoire qu’elle « crée chez le cheval un tel état de grâce qu’elle devrait précéder tout exercice  ». Cet article est un concentré du chapitre 14 de son livre L’Équitation de légèreté  dans lequel il explique cette décontraction de la mâchoire,  si indispensable.

 


 

Les textes de Jean-Claude Racinet sur la cession de mâchoire sont tellement denses, et si intimement liés à l’impulsion créée et à la main fixe, qu’il est extrêmement difficile d’en faire un résumé. Ce maître tient comme pilier de la philosophie de légèreté ces indispensables cessions de mâchoire. Il le clame d’ailleurs dès les premières lignes du chapitre 14 de son ouvrage L’Équitation de légèreté : «  Avec la flexion de mâchoire, nous entrons dans le sanctuaire de l’équitation de légèreté. »

Baucher a mis en évidence que la cession de mâchoire était le signe de l’équilibre, et que la provoquer peut solutionner les problèmes qui y sont liés : bouche contractée, résistances… Chez le cheval, cet équilibre provient, pour simplifier, de l’harmonie entre le système propulseur (les hanches) et le système rétropropulseur (les épaules). Un cheval en déplacement fait jouer ces deux systèmes simultanément, de façon variable. Mais quand il est chargé du poids du cavalier, la donne change : tout est à rééquilibrer, principalement du fait que la colonne vertébrale est sans lien fixe avec l’avant-main qui reçoit le plus de poids, ce qui provoque des contractions multiples ; ce sont elles qui rompent l’équilibre naturel du cheval. Toutes ces contractions font un tout et s’étayent mutuellement, comme les maillons d’une chaîne. Il suffit de casser un maillon pour détruire l’ensemble. Et le maillon caractéristique – le maillon faible ! – des contractions générales du corps, c’est la mâchoire (l’os hyoïde, sous la base de la langue).

 

Le fait que la bouche du cheval s’ouvre, ne vaut pas forcément décontraction !
Des chevaux ouvrent la bouche pour fuir la main, parce que cette main s’agite de droite et de gauche.
Une bouche trop ouverte est très souvent une bouche contractée.

 

« C’est la décontraction de la mâchoire qui est le but, la flexion en est le moyen !  Il faut distinguer la flexion et la cession de la mâchoire. (…) La flexion consiste à apprendre au cheval à ouvrir la bouche à la demande du cavalier (à pied, puis monté). La cession, qui en est l’aboutissement, est un procédé complexe, où la langue joue avec le mors, le faisant sauter vers le haut dans la bouche, comme un geste de déglutition inachevé, puis la bouche se referme calmement (l’ouverture est minime). »

L’importance de la main fixe

Cette cession de mâchoire ne va pas sans le concept de la main fixe. Sur cette main fixe, (découverte de manière fortuite par Baucher, à l’arrêt), la bouche ne peut que s’ouvrir très discrètement. « La main fixe n’est pas une main qui se refuse à tout mouvement vers l’avant, si ce mouvement est nécessaire à l’équilibre du cheval, c’est une main qui se refuse à tout recul au moment où la cession de mâchoire se produit. »

Si le cheval ne ressent aucune satisfaction au moment de la cession de mâchoire, il va résister et ne la fera plus.

 

Le cavalier a donc un souci s’il agit avec la main : ses réflexes étant moins rapides que ceux du cheval, il cédera toujours avec un temps de retard. De plus, la main en légère tension, par réflexe, reculera. Le cheval recevra une secousse. « Il faut donc que la traction sur la rêne s’exerce de telle manière que son interruption, dès que la bouche du cheval commence à céder, soit automatique et ne dépende pas de la volonté du cavalier. Cela ne peut se réaliser que si le cavalier, ne faisant absolument pas appel au concours de ses bras, se contente de mettre en oeuvre la seule force de ses doigts, les serrant en place. » En fait, il faut une pression sur les rênes au lieu d’une traction ! On parle ici de la fixité de la main par rapport à elle-même.

Les premières flexions sont parfois difficile à obtenir à pied, car le cheval s’appuie sur ce qui lui fait mal ou le gène. Alors monté, on peut profiter des CM spontanées que fait le cheval plus particulièrement au pas compté. « Mais l’obtention de la CM dans son aspect essentiel de décontraction relèvera toujours plus de l’art que de la science exacte ! Il faut acquérir une sensibilité particulière » (art = tact).

Beudant(2) a précisé que sa main (ses doigts) cédait avant la CM. Il n’est pas loin de penser que cette cession de main de « l’écuyer mirobolant », créait une vibration, ce qui devint sans doute le « frémissement » nommé et utilisé par le général Decarpentry pour obtenir une cession de mâchoire.

Par ailleurs, on voit plein de cavaliers vouloir absolument avoir un cheval « placé », en « ramener ». Le ramener doit succéder à la cession de mâchoire dans l’ordre des progressions : « La cession de mâchoire est un préalable impératif au ramener. » Selon Decarptentry, « le ramener ne doit pas s’imposer par la main, cette position de tête sera obtenue sans effort lorsque l’arrière-main aura été assouplie. (…) Quand un cheval a été habitué à baisser la tête, à ramener, sur des actions alternées de la main droite et de la main gauche, il est pratiquement impossible de l’empêcher de ployer son encolure quand on tente de lui fléchir la mâchoire. Petit à petit, on fera perdre au cheval sa mauvaise habitude de rouer son encolure à la moindre indication des rênes ! »

 

La cession de mâchoire peut se pratiquer sur n’importe quelle embouchure,
elle est cependant plus commodément obtenue sur la bride. »

 

Exécuter la cession de mâchoire 

Dans le chapitre 14 de son ouvrage, Jean-Claude Racinet décrit : « En filet, voici comment je m’y prends : à l’arrêt, je tends assez fortement mes rênes, mes mains reposant sur la crête de l’encolure. En général, après une très courte période d’hésitation, le cheval roue son encolure et mâche son mors. C’est à ce point que s’arrête l’École allemande, mais nous ne saurions nous en contenter. Je ne récompense donc pas, et conserve mes rênes dans la même tension. Le cheval résiste fortement, ouvrant la bouche et sa nuque. C’est le moment psychologique. Il importe de ne surtout pas tirer, donc de garder les mains contre la crête de l’encolure, en poussant sur celle-ci, pour offrir la résistance la plus passive possible. Le cheval va alors ramener sa tête dans sa position du début de l’exercice, et donner une cession de mâchoire complète avec mouvements de langue et déglutition. (…) Il faut, à ce moment, lâcher les rênes, ce qui parait curieux pour le moins, sachant que nous travaillons en main fixe. Cela devrait donc être totalement inutile ! Mais la cession de mâchoire est tellement fugace au début, que le cheval pourrait rechercher à prendre appui sur le mors. Après que le cheval aura été familiarisé avec des cessions de mâchoire demandées par simple résistance des doigts, il ne sera plus nécessaire de poser les mains sur la crête de l’encolure. » 

 

« Il est bien dommage que l’usage de la cession de mâchoire se perde chez les cavaliers. (…) La cession de mâchoire crée chez le cheval un tel état de grâce qu’elle devrait, au contraire, précéder tout exercice. Voici un exemple : un cheval au box. Poussez-lui les hanches. Il résistera et s’arc-boutera sur la jambe externe. Refaite l’exercice en mettant le doigt dans la bouche du cheval. Quand le cheval fléchira avec un mouvement de déglutition, la résistance des hanches disparaitra et elles céderont à la poussée.  C’est là un exemple spectaculaire de l’exploitation que l’on peut faire de l’état de grâce neuro-musculaire qui procède de la décontraction de la mâchoire.
Le cas le plus intéressant, dans ce genre de binôme décontraction/action, est certainement celui qui allie la cession de mâchoire au mouvement en avant, en faisant systématiquement suivre toute cession de mâchoire d’une action impulsive des jambes et de l’assiette. Ce binôme flexion/impulsion peut devenir l’outil de base d’un dressage dans l’équitation de légèreté. C’est la « flexion impulsive ».

 

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